Ma petite voix...

Ca, c'était mon travail du soir donné par ma psy. Comme les mots ne veulent pas toujours sortir, elle m'avait demandé il y a quelques temps d'écrire, sans filtre. Je l'ai fait, je lui ai donné ma petite lettre. Et puis, pourquoi pas la mettre ici aussi, finalement...

""" C'est dur d'enlever le filtre et de laisser tomber le masque quand on les utilise depuis 29 ans. Déjà petite, quand quelque chose n'allait pas, plutôt que d'en parler, je préférai m'enfermer de longues heures seule dans ma chambre. Quand ça allait mieux je sortais, et souvent j'allais demander un petit câlin et puis tout allait mieux. Alors même avec les années qui ont passées, rien n'a vraiment changé dans ma façon de faire : j'encaisse quelques temps, et puis quand je suis prête à exploser, qu'il n'y a plus de place pour les mauvaises nouvelles, je vais me cacher pour évacuer...chez, dehors, peu importe au final, il me suffit d'être seule...et puis à ce moment là seulement, tout sort...ça peut durer 5 minutes ou bien des heures...c'est comme ça que je fonctionne, que j'ai toujours fonctionnée.
Alors oui sur ma route j'ai eu la chance immense de croiser le chemin de quelques personnes qui avaient le don de savoir me faire parler...qui avaient le don de faire sortir les mots avant que la cocotte minute n'explose. De ces personnes, plusieurs sont parties vers un ailleurs que je ne connais pas et qui me fait peur... alors depuis, c'est un peu plus devenu le chaos dans ma tête. 
Parler à ses proches, pour beaucoup c'est quelque chose de facile à faire, mais ça ne l'a jamais été pour moi. Parler me fait peur, parce que parler c'est l'inconnu... comment va réagir l'autre ? bien ? mal ? est-ce qu'il aura les mots pour me répondre ? est-ce que je vais lui faire du mal ? est-ce que je vais le blesser ? est-ce qu'il va préférer partir sans rien dire ?... 
Alors je brode...pas avec de la laine mais avec des mots... 
Quand je n'ai plus le choix, qu'il faut que je parle d'un sujet qui fait mal, oui j'y ajoute une petite touche d'humour...là...l'air de rien...histoire que ça passe mieux et que ça paraisse moins terrible...que l'autre ne prenne pas peur... Je le faisais sans m'en rendre compte...
Ce masque, je crois l'avoir enfilé il y a à peu près deux années, quand j'ai vu mon homme m'accompagner dans une société de pompes funèbres pour un contrat pré-obsèques...il n'était pas obligé, mais il a voulu être là...alors ce jour là, comment ne pas sortir le masque de l'humour pour détendre un peu l'atmosphère...? Lui si serieux et fermé au départ, je l'ai vu se lacher au fil des minutes...jusqu'à blaguer avec moi sur la couleur dégueulasse des tissus qui tapissent l'interieur des cercueils... qu'est-ce qu'on a rit ce jour là...
Mon masque à moi, ça doit être l'humour. 
Le cancer, j'en ai fait mon affaire...depuis 4 ans je le cache comme je peux, à grands coups de sourires, de vannes, de "je vais bien !" mais aujourd'hui le simple fait de devoir parler de lui, et d'écrire son nom me fait monter les larmes. Le masque de l'humour, il est déjà loin.
Il y a 4 ans je m'étais juré de ne pas me laisser abattre, de toujours garder la tête haute, de tout faire pour lui mettre des batons dans les roues, et toujours à grands coups de "je vais bien", j'y ai cru...j'ai fait comme si la maladie n'existait pas, et ça a marché, pendant un temps.
Depuis quelques mois j'ai l'impression de prendre un chemin parallèle à ma vie d'avant... 
Avant, il me suffisait d'enfiler mon masque en me levant le matin, le reste suivrait...
Plus maintenant. J'ai l'impression que chaque mois, je me prends 10 ans dans la figure... Il n'y a encore pas longtemps, je me foutais un peu des résultats de mes exams "de toute façon, qu'est ce que ça change ?", même s'ils n'étaient pas toujours très bons, moi, ça allait, je pouvais aller bosser et continuer ma petite vie.
Et bien ça change tout maintenant... ces mêmes exams, je les appréhende chaque semaine un peu plus, parce qu'ils ont oublié depuis trop longtemps d'apporter des bonnes nouvelles, et qu'à chaque fois que je les reçois, il y a comme une petite voix dans ma tête qui me répète "tu vois, je te l'avais dit ! et tu le savais, que ça arriverait !". Oui je savais, mais je l'avais mis dans un tout petit coin de ma tête...
Depuis, cette petites voix insupportable, elle me suit du matin au soir...
Elle est là au réveil quand il faut se lever et que je me demande si je vais pouvoir ou non aller travailler,
Elle est là a chaque repas quand je me demande si je vais garder mon repas...
Elle est là sous la douche ou devant la glace quand j'essaye de ne plus voir les kilos perdus et les muscles en moins...
Elle est là, même au travail quand je me dis que je serai mieux dans mon lit.
Elle est là, pendant les sorties de plus en plus rares, quand je ne profite plus vraiment et que je ne pense qu'à rentrer...
Elle est là quad je veux passer un coup d'aspi et qu'il me faudra 3h pour m'en remettre...
Elle est là le soir quand je vais me coucher et que je me demande comment se passera la nuit, et la journée d'après...
Elle est là, partout....tout le temps...cette petite voix qui me dit que je ne peux plus faire semblant.
Alors j'hésite... est-ce que je dois l'écouter et passer mes journées dans mon canapé à regarder le temps passer et tout se dégrader encore et encore...?
Ou bien est-ce que je dois encore enfiler mon masque, me lever, foncer, faire comme si, et exploser quand la pression sera trop forte...?
J'ai peur du jour ou en me réveillant dans mon lit, je n'aurai même plus la force de me lever... j'ai peur du jour ou face à un proche je n'aurai même plus la force de lui sourire... Je crois que plus que la maladie elle-même, c'est ça qui me fait peur...
Non, mourir ne me fait pas peur, enfin pas plus que ça quoi...d'autres y sont déjà passé, et puis il y a du beau monde à retrouver...mais qu'est-ce que ça me fait chier.........c'est que je suis bien moi, ici...avec ceux que j'aime...à les regarder sourire, rire, danser, chanter...alors pourquoi les laisser ?
Parce que les douleurs nocturnes ne sont même pas comparables à la douleur que je ressents à les regarder souffrir de la situation...et à faire comme si, eux aussi...
Voilà, j'ai fait mon boulot,
A la prochaine séance maintenant. """

Comments

[Valerie]

Je t'aime mon hibou .....

[Vincent]

Tu n'as pas à t'en vouloir et encore moins à t'excuser auprès de nous, on se retrouve dans 1 semaine ;-) on va te le regonfler ce petit moral la puce

[MP]

Le petite voix.......mais ne serait-ce pas Jiminy Cricket ? :-D

Bien sur que tu as la chance immense d'avoir croisé mon chemin, je suis certain que tu ne le regrettes pas du tout ! ;-)

Allez, toutes blagues mises à part, bravo pour avoir posté ces mots là, ça n'a pas du être une chose facile, ça ne l'aurait sûrement pas été pour moi. Alors bravo d'abord et puis merci, surtout.

Arrête voir un peu de penser aux autres avant de penser à toi, personne ne t'en voudra et ça te reposera le neurone un petit peu ;-) et puis compte sur moi pour venir te secouer le bocal à chaque fois que tu passeras par là ;-)

Bises la troyenne

[Mag]

J'ai toujours un train de retard moi, j'arrive après la bataille ;-) que dire de plus que tout ce qui a déjà été dit...tu es formidable mais ça, tu ne le vois pas...tu nous donne une énorme leçon de vie, je sais que si à la maison nous râlons très peu et ne nous plaignons pas, c'est en grande partie grâce à toi (et aux petits courageux que tu nous fait connaitre). On a appris à savourer chaque petit moment de vie, à les aimer, les apprécier à leur juste valeur...et qu'est ce que c'est beau !

Tu es merveilleuse et je suis certaine que tu te trompes sur un point : tu n'apportes aucune souffrance à tes proches, famille ou amis...aucune ! tu n'apportes que du bonheur, du partage et du sens...

[Cyriac]

Je suis fier de toi...